Déclaration de la société civile sur le cinquantenaire du Club de Paris : ni légitime, ni soutenable

mercredi 14 juin 2006

Depuis 30 ans au moins, une grande partie du monde en développement croule sous une masse de dettes extérieures qui — parmi tant d’autres pressions et injustices — étouffe toute opportunité de croissance et de réduction de la pauvreté. Contrairement à ce qu’ils clament haut et fort, les gouvernements créditeurs ne se sont jamais systématiquement occupés de cette crise continuelle. Les Etats les plus riches ont au contraire imposé — par le biais du FMI, de la Banque Mondiale et du Club de Paris — un état d’urgence et d’insoutenabilité prolongé.

Toute sortie définitive du cercle vicieux de l’endettement s’en est par conséquent trouvée constamment et délibérément entravée, au détriment des pays débiteurs, maintenus sous domination dans un véritable état de dépendance. Le nombre de négociations que de nombreux pays ont dû endurer tout au long de ces années parle de lui-même : on compte jusqu’à 14 visites pour le Sénégal, 11 pour la République Démocratique du Congo, 9 pour la Côte d’Ivoire et 8 pour le Gabon. De plus, la kyrielle de restructurations effectuées pose le problème majeur de la traçabilité des crédits. En effet, des prêts qui ont souvent été odieux ou illégitimes sont consolidés et ré-étiquetés, à la suite de quoi il devient extrêmement difficile de localiser leur véritable origine.
Le Club de Paris est un cartel de créanciers officiels dont le rôle consiste à maximiser d’un bout à l’autre les rendements de leurs prêts. Depuis ses 5 décennies d’existence, le Club s’est révélé être un instrument extrêmement efficace de restructurations et reprises habiles des crédits accordés par les agences d’aide et — plus important — par les agences de crédit export.

En privilégiant les intérêts des créanciers, le Club n’a rien fait pour garantir un environnement juste et transparent ou assurer des résultats durables permettant une sortie définitive de la crise de la dette.

Cette « non-institution », comme elle aime à se faire appeler, est un exemple flagrant de méthodes et de règles non démocratiques. Elle n’est composée que de créanciers, et prend ses décisions à l’unanimité, ce qui permet à n’importe lequel de ses membres de conserver ses conditions les moins favorables en exerçant son droit de veto. Elle concentre toute son attention sur la capacité de paiement des débiteurs, déterminée selon des calculs internes (et hautement secrets). Tout cela prouve l’absence absolue de méthodes réellement responsables, ouvertes et transparentes. De plus, la nature arbitraire évidente de ses pratiques, qui dissimulent des décisions d’ordre géopolitique derrière de soi-disant méthodes « techniques » adaptées à chaque pays, est totalement inacceptable, et souligne une fois encore le manque de crédibilité qui caractérise cette entité. Les différences de traitement envers des pays comme le Nigeria (annulation de 60 %), la Serbie Monténégro (67 %), la Pologne (50 %) et l’Irak (80 %) — et ce au cours des seules dernières années — révèlent un niveau de parti pris politique défiant tout sens commun de la justice et de l’équité.

Au sein du Club de Paris, les créanciers sont seuls juges de leurs actions : l’essentiel des négociations se fait entre créanciers uniquement, qui prennent seuls les décisions. La délégation du pays débiteur n’a qu’un rôle passif dans le processus, qui consiste à accepter ou refuser les offres des créanciers. De par ses méthodes, et si l’on compare celles-ci aux règles et procédures nationales de chacun de ses pays membres en matière de gestion de la dette, le Club de Paris fait figure d’institution médiévale. A l’instar des systèmes régis par un droit constitutionnel, les négociations internationales sur la gestion de la dette doivent compter sur une entité impartiale qui puisse contrôler le processus, assurer que les deux parties puissent s’exprimer, et émettre des avis obligeant les deux parties.

Les représentants du Club de Paris argumentent qu’ils ne sont pas une agence de développement et ne peuvent donc pas gérer plus que de simples recouvrements de dettes. Pourtant, c’était bien les représentants officiels de ces mêmes gouvernements qui se sont solennellement engagés à apporter leur contribution aux Objectifs de Développement du Millénaire d’ici 2015 que l’on pouvait observer autour de la table à Bercy. Encore faudrait-il, lorsqu’ils prennent des décisions en matière de gestion de la dette, qu’ils évaluent de manière approfondie les conséquences de leurs actes, et qu’ils agissent en conséquence.

Dans l’état actuel des choses, le Club de Paris n’a aucune légitimité. Les organisations de la société civile du Nord et du Sud exigent un changement radical des méthodes actuelles de gestion internationale de la dette. Les gouvernements — et en particulier ceux des Etats créanciers — doivent prévoir des mécanismes exhaustifs, justes et impartiaux, pour traiter les cas de dettes insoutenables. A cette fin, nous demandons aux créanciers de reconnaître qu’ils doivent abandonner leur rôle de juge et partie, et d’accepter qu’une instance neutre évalue leurs exigences en fonction de la situation et des besoins de chaque débiteur. Les gouvernements représentés au sein du Club de Paris doivent saisir l’occasion de l’anniversaire célébré cette année pour mettre fin aux pratiques actuelles et en instaurer de nouvelles.

Signataires :
CADTM - RNDD (Niger) - GRAPR (RDC) - NAD (RDC) - Solidaires (Congo) - EURODAD - Christian Aid - Jubilee UK Debt Campaign - CRBM/Mani Tese - Jubilee USA - Observatorio de la Deuda en la Globalización (Espagne) - erlassjahr.de (Allemagne) - Diakonia (Suède) - Jubilee Netherland - Both ENDS (Pays-Bas) - SLUG (Norvège) - Plate-forme Dette et Développement (France) - CNCD - 11.11.11 (Belgique) - KOO (Autriche) - Debt and Development Coalition (Irlande) - The Freedom from Debt Coalition (Philippines) - LOKOJ Institute (Bangladesh) - ANEEJ (Nigeria) - ECONDAD (Nigeria) - TANGO (Tanzanie) - Jubilee Kyushu on World Debt and Poverty (Japon) - The Public Services Labor Independent Confederation (Philippines) - ATTAC Japon - US Network for Global Economic Justice (Etats-Unis) - CDL (Bangladesh) - AIDC (South Africa) - AGEZ (Autriche) - AFRODAD (Zimbabwe) - WEED (Allemagne) - Halifax Initiative Coalition (Canada), etc.