Qu’est-ce que le Club de Paris ?

vendredi 4 mars 2016, par CADTM

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En 1955, après le renversement du président argentin Juan Domingo Perón par un coup d’État militaire, le nouveau régime a été soucieux de rentrer dans le rang au niveau international. Il a alors très vite cherché à intégrer le FMI et la Banque mondiale. Dans ce but, il a eu besoin de régler le problème de sa dette et de rencontrer les principaux pays créanciers. Le 16 mai 1956, la réunion a eu lieu à Paris, sur proposition du ministre français de l’Économie. Le Club de Paris était né.

Soixante ans plus tard, le Club de Paris est devenu, aux côtés du FMI et de la Banque mondiale, un instrument central dans la stratégie développée par les pays créanciers pour conserver une emprise totale sur l’économie mondiale. Le but du Club, qui se réunit toujours au sein du ministère français des Finances, à Bercy, où se trouve son secrétariat, est de renégocier la dette publique bilatérale des pays du Sud ayant des difficultés de paiement. Initialement composé de onze pays, il en comprend désormais vingt : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Israël, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Suède, Suisse. D’autres pays créanciers peuvent occasionnellement se joindre à eux.

Les 20 pays du Club de Paris

Entre 1956 et fin 1980, trente accords seulement sont signés par le Club. Avant 1976, le Club rechigne même à se réunir pour des pays dont la dette est jugée trop faible : seuls l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Indonésie, le Pérou, le Cambodge, le Pakistan et le Zaïre sont reçus. Après la crise de la dette au début des années 1980, une accélération importante se produit. Entre début 1981 et septembre 2008, 373 accords sont conclus, avec des représentants de 83 pays débiteurs différents. Le triste record est détenu par le Sénégal (passé 14 fois depuis 1981) devant Madagascar (12 fois), le Niger et la République démocratique du Congo (11 fois). Le montant total des dettes traitées (rééchelonnées ou annulées) dépasse 500 milliards de dollars.

Le déroulement des réunions plénières, mensuelles en général, frise le rituel [1]. Les délégations du pays surendetté et de ses créanciers siègent par ordre alphabétique autour de la grande table de conférence. Des institutions multilatérales (FMI, Banque mondiale, Cnuced, banques régionales de développement, etc.) sont aussi présentes. Le président du Club – souvent le directeur du Trésor français – ou un proche collaborateur ouvre la séance. Le chef de la délégation du pays endetté, en général le ministre des Finances ou le gouverneur de la Banque centrale, expose de façon formelle les raisons de sa présence. Depuis plusieurs mois déjà, les autorités de son pays sont en contact avec le Club et ont dû se plier à deux conditions très strictes : soumettre une demande de passage devant le Club s’appuyant sur l’impossibilité de poursuivre les remboursements en l’état et conclure un accord économique avec le FMI assurant que tout est mis en œuvre pour éviter que cela ne se répète. Avant son passage devant le Club de Paris, le pays surendetté a donc déjà dû se plier aux exigences de ses créanciers, ce qui réduit à néant sa marge de manœuvre ce jour-là.

Ensuite, le représentant du FMI détaille les réformes envisagées pour tirer le pays de ce mauvais pas, avant que ceux de la Banque mondiale et de la Cnuced ne complètent le tableau. La séance des questions-réponses peut commencer. A l’issue, cette session dite « de négociation » révèle la toute-puissance des créanciers : la délégation du pays endetté est invitée à se retirer pour que les membres du Club négocient entre eux. Une fois un terrain d’entente trouvé, le Président en informe la délégation du Sud qui a dû patienter à l’écart pendant que son sort était scellé. Si elle n’est pas satisfaite, les discussions peuvent reprendre, mais son pouvoir de persuasion est infime : son pays est demandeur d’un geste du Club et sa présence autour de la table indique clairement qu’il a renoncé à la fronde. Après signature du procès-verbal, elle n’a plus qu’à se réjouir devant les médias de son pays de l’accord obtenu et à remercier les pays créanciers.

Lors du premier passage d’un pays, le Club de Paris détermine une date butoir. Officiellement, seuls les crédits accordés avant la date butoir sont concernés par le rééchelonnement. Les dettes contractées après cette date ne sont en principe pas susceptibles d’être restructurées, ceci afin de rassurer les marchés financiers et les bailleurs de fonds quant au remboursement des nouveaux prêts qu’ils accorderont. En ce qui concerne Madagascar, le Niger ou la Côte d’Ivoire, la date butoir est le 1er juillet 1983, ce qui réduit sensiblement le volume de la dette concerné par une réduction éventuelle.

Le Club de Paris distingue deux types de créances : les crédits APD (aide publique au développement) accordés à des taux inférieurs à ceux du marché et en principe destinés à favoriser le développement [2], et les crédits non-APD (ou encore crédits commerciaux), qui sont les seuls à être concernés par un éventuel allégement. En général, un allégement de dette par le Club de Paris est réservé aux pays les plus pauvres et les plus endettés. Pour la grande majorité des PED en difficultés de paiement, le Club de Paris ne répond que par des rééchelonnements de dettes, les problèmes étant alors simplement repoussés dans le temps.

Les conditions de vie des populations les plus démunies n’entrent pas en considération car le Club se veut une simple agence de recouvrement de fonds. Il est d’ailleurs géré par le ministère des Finances, et non par celui des Affaires étrangères ou de la Coopération. Son but est de faire payer au maximum les pays endettés : « Les créanciers du Club de Paris souhaitent recouvrer au maximum leurs créances. Ainsi, ils demandent le paiement immédiat d’un montant aussi élevé que possible. Les montants qui ne peuvent pas être payés sont rééchelonnés dans des conditions qui équilibrent les paiements futurs et dans l’objectif de minimiser la chance que le débiteur doive retourner dans le futur devant les créanciers du Club de Paris avec une requête additionnelle [3]. » Est-ce alors un hasard si les passerelles entre le Club et les grandes banques sont souvent empruntées ? Jean-Pierre Jouyet a quitté la présidence du Club en juillet 2005 pour le poste de président non exécutif de la filiale française de la banque Barclays [4]. Emmanuel Moulin, secrétaire général du Club, a pris en janvier 2006 ses nouvelles fonctions à la Citibank, premier groupe bancaire mondial…

Le Club de Paris se présente lui-même comme un groupe informel, une « non-institution ». Il n’a ni existence légale ni statuts. En théorie, les conclusions de ses discussions sont de simples recommandations qui ne deviennent effectives que lorsque les États créanciers, de façon indépendante, décident de les mettre en œuvre via des accords bilatéraux, qui seuls ont une valeur juridique. Pourtant, les États membres du Club suivent systématiquement ses recommandations ; ils s’y engagent d’après le principe de solidarité retenu par le Club de Paris. Une manière habile de diluer les responsabilités : le Club de Paris n’est responsable de rien puisqu’il ne contraint en rien les États, mais parallèlement, les États appliquent scrupuleusement les recommandations décidées au Club de Paris. De plus, celui-ci joue un rôle fondamental puisqu’il permet de présenter un front uni pour le recouvrement des créances bilatérales. Au contraire, chaque État du Sud est isolé [5]. Sa situation est étudiée au cas par cas en fonction de données fournies par le FMI, qui s’est d’ailleurs souvent illustré par ses prévisions exagérément optimistes [6].

Prompt à prôner la « bonne gouvernance » chez les autres, le Club ne se sent pas obligé d’en faire preuve lui-même. L’agenda des sessions n’est jamais rendu public à l’avance ; la teneur des discussions en interne et le positionnement des différents pays ne sont jamais connus ; les réunions se font à huis clos, sans le moindre observateur des mouvements sociaux du Nord ou du Sud. Alors que le Club joue le double rôle de juge et partie, les pays débiteurs sont isolés face au front des pays créanciers, impliquant une prise en compte exclusive des intérêts financiers des pays riches.

Il est intéressant de noter que le Club de Paris pratique la capitalisation des intérêts, à savoir que les intérêts échus des prêts du Club de Paris sont capitalisables. Ils s’ajoutent donc à la dette initiale et génèrent donc eux-mêmes des intérêts [7] ! Or la majorité des Constitutions d’Amérique latine, et même certaines Constitutions européennes comme la Constitution italienne, interdisent un tel mécanisme. Le Club de Paris pousse donc les représentants de pays présents autour de la table à violer leur propre Constitution !

En outre, le chantage pour dissuader la constitution d’un « front du refus » des pays endettés est très clair : « La qualité d’une signature financière se construit dans le long terme dans la mesure où les prêteurs tendent à évaluer dans la durée la capacité du débiteur à rembourser sa dette avant d’accorder des financements plus importants. En revanche, la signature financière d’un pays est susceptible de se dégrader rapidement en cas de non-respect des obligations contractuelles. Dans le cas où la restructuration de la dette ne peut être évitée, les pays qui n’accumulent pas d’arriérés et adoptent une démarche préventive pour trouver une solution de manière coordonnée avec leurs créanciers, notamment au sein du Club de Paris, peuvent restaurer plus facilement par la suite leur capacité d’emprunt. En revanche, ceux qui déclarent un moratoire unilatéral tendent à perdre la possibilité d’accéder à de nouveaux financements pour un certain temps », peut-on lire sur le site web du Club de Paris.

Enfin, après le passage au Club de Paris, l’État endetté peut alors se tourner vers ses banques privées créancières pour entreprendre des négociations du même type, mais encore plus opaques et encore plus marquées par la détestable odeur du profit à tout prix...

« Aujourd’hui, les marchés émergents ne sont pas ouverts de force par la menace ou l’usage des armes mais par la puissance économique, la menace de sanctions ou la rétention d’une aide nécessaire en temps de crise. »

Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002

En somme, le Club de Paris est une grave anomalie institutionnelle, où se rencontrent en catimini des créanciers discrets, unis et tout-puissants [8]… Pour toutes ces raisons, il doit purement et simplement disparaître.


[1Voir David Lawson, Le Club de Paris. Sortir de l’engrenage de la dette, L’Harmattan, 2004.

[2En principe, car de plus en plus souvent, ces crédits APD sont destinés à soutenir des politiques d’ajustement structurel qui empêchent tout véritable développement. Au contraire, globalement, ils entretiennent la misère, quand ils ne la créent pas.

[4Il n’y est resté que quelques mois pour prendre fin 2005 la direction de l’Inspection générale des finances, avant d’intégrer le gouvernement français, après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, en tant que secrétaire d’État chargé des Affaires européennes.

[5C’est pourquoi Thomas Sankara avait souhaité, lors de son discours à Addis Abeba, le 29 juillet 1987, la mise au point d’un Front uni d’Addis-Abeba contre la dette

[6Par exemple, en août 1997, un rapport du FMI et de la Banque mondiale sur le Burkina Faso prend comme base d’analyse, pour la période 2000-2019, une croissance du montant total des exportations de 8% par an. En juin 2000, après la mauvaise récolte de coton de 1999, les prévisions du FMI changent : la croissance des exportations est révisée à 7,6% par an de 2000 à 2007, puis 5% de 2008 à 2018. Après la chute de 35% du cours du coton en 2001, le rapport du FMI publié en 2003 permet d’affirmer que le montant des exportations a en fait baissé de 14% entre 1998 et 2002. Voir Damien Millet, L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, p. 175.

[7Le terme technique correspondant est « anatocisme ».

[8Ce texte est basé sur l’article « Des créanciers discrets, unis et tout-puissants » signé par les auteurs et paru dans Le Monde diplomatique de juin 2006.